Tragédie ordinaire de guerre

Ces images télévisées furent fugaces. Mais leur poids m'a terrassé. D'abord, il y avait le contexte d'un banal interview de témoin illustrant les récits poignants, émis au fil de cette guerre d'Ukraine. C'était aux abords d'une gare. Là-bas, dans l'Est. (lire la suite : cliquez sur le titre)

A un moment donné, l'œil de la caméra a brièvement quitté l'interview en cours, pour glisser vers une autre scène, plus distante, à l'écart, appréhendée latéralement, y saisissant inopinément quelques secondes d'un moment terrible, intime, dont je saisis instantanément la dimension discrète mais dramatique, et qui m'emplit d'émotion.

Debout sur le capot d'une voiture en stationnement, une très petite fille, dont le visage ne se voyait pas, se tenait fort droite, stoïque, engoncée dans ses épais habits de voyage, ses cheveux bouclés débordant d'un bonnet de laine.

Juste devant elle, un peu penché, un homme encore jeune, nue tête, en tenue de camouflage et gilet de combat, avait avancé ses bras pour maintenir son enfant debout sur le véhicule familial, son papa sans aucun doute. Il lui parlait les yeux dans les yeux, lui disant sans doute combien il l'aimait, lui prodiguant probablement aussi, en ces quelques précieuses secondes encore disponibles, des recommandations ultimes. Pour toute une vie.

Dans quelques minutes, l'enfant embarquerait dans un train d'évacuation. Laissant là, peut-être pour toujours, le souvenir du bon visage protecteur mais désormais arraché à elle, livré au destin, et tenu par son devoir.
Une image tragique, un drame dans le drame hélas répliqué sous des formes diverses à des dizaines de milliers d'autres occasions et de personnes.

Depuis toujours, mais surtout depuis le 20 ème siècle et ses cataclysmes guerriers, combien furent nombreux ces adieux d'enfants, ces petites mains plaquées sur les vitres de trains en partance, ces yeux embués par la détresse, ces ultimes regards échangés au bord du gouffre.

En voir les images m'a toujours ému d'une manière plus singulière que d'autres démonstrations de séparation. Déchirements injustes et tragédies largement incompréhensibles pour ces petits et si souvent préambules à la brisure de destins.

On croyait ces images réservées à l'histoire dramatique de notre monde et confinées dans les films anciens, en noir et blanc mais il n'en est rien. Les candidats-conquérants sont de retour ! L'Histoire de notre monde a certes toujours été incisée par la trace sanglante de despotes narcissiques convaincus d'avoir à s'y voir «glorieusement » inscrits pour des siècles et n'hésitant pas, pour la cause, à infliger le fer, le feu et la spoliation à des peuples pourtant non hostiles, cherchant à conquérir leur terre, à s'accaparer leurs ressources, à installer un hégémonisme inique, incluant la régression du droit des gens et un cortège de violences les plus diverses infligées aussi -et même surtout- aux plus vulnérables.

Souvent, ils tentaient -et tentent encore aujourd'hui- de masquer la perfidie de leurs entreprises en recourant aux onctions manipulatrices d'un patriotisme abusé de mensonges ou en prétendant faire œuvre de justice et de protection, voire en alléguant d'un fallacieux devoir de conduire les futurs soumis vers un avenir meilleur par l'imposition forcée de nouveaux carcans forgés par un dirigisme politique, idéologique ou religieux...Toute la panoplie justificative habituelle des prédateurs, emplie de sornettes, mais éprouvée et redoutable car conduisant immanquablement à la destruction d'une multitude de vies, y compris parmi les leurs.

Le tout menant, de surcroît, à la compromission et au gaspillage de bien d'autres valeurs et ressources, pourtant plus que jamais précieuses et comptées sur cette planète déjà soumise à maints autres périls et défis.

Ce grand retour, qu'on aimait à croire impossible tant l'aventure est stupide et dangereuse, a dû être constaté avec consternation, Il est nimbé d'orgueil et d'arrogance, pratique la manipulations massive de la vérité et est dépourvu de scrupules, tuant et déchirant, faisant couler tant de larmes et de sang.

Et ce forfait est perpétré à nos portes, sous nos yeux, sans justification décente ni nécessité.C'est un affront à l'humanité. Et il nous met en colère!